Lors d’une multilatérale avec les organisations syndicales le 9 avril dernier, la ministre Sylvie Retailleau a présenté les grandes lignes des projets du ministère pour un “Acte 2 de l’autonomie des universités”. La ministre nous présentait alors quelques éléments de langage déjà ressassés sur le renforcement de l'autonomie des établissements dans les domaines institutionnels, pédagogiques, financiers, en matière de ressources humaines. Sans document de travail, nous n’avons pu cerner clairement les projets du ministère.
Ces derniers jours, un document de travail interne a fuité, et le moins que l’on puisse dire c’est que cet acte 2 semble bien être le dernier dans la dérégulation totale du service public d’enseignement supérieur et de la recherche.
Ce document, visiblement à destination des 9 établissements pilotes, comprend plusieurs attaques majeures.
En terme de mesures “Ressources humaines”: le document prévoit de laisser la possibilité aux établissements de recruter des maîtres·ses de conférence (MCF) sans qualification du Conseil national des universités , de lever la référence aux 192h d’enseignement pour les enseignant·es-chercheur·es, de multiplier les chaires de professeur·es juniors mises en place avec la loi de programmation de la recherche (LPR)… Et du côté des BIATSS et des autres personnels d’enseignement : “déconcentrer leur gestion”, “assouplir les règles de recrutements”, “alléger les modalités d’affectation”, “lever la référence aux 384h pour les ESAS”... Bref, une “simplification” qui ressemble beaucoup à une mise à sac des réglementations qui limitent encore un peu les inégalités de recrutement, de carrière, de rémunération et de conditions de travail. Ces projets, en lien avec celui de S. Guérini pour l’ensemble de la fonction publique laissent craindre pour nos statuts et la garantie d’un service public dégagé de tout arbitraire et de népotisme local.
En matière de gouvernance des établissements, le modèle des établissements publics expérimentaux est la voie à suivre : statuts et gouvernance locales hors du code de l'Éducation, suppression des règles statutaires pour les instituts et les écoles, suppression des services communs. Une gouvernance verticale et dérégulée contre la démocratie et les garanties légales nationales.
En matière de patrimoine, le document prévoit une généralisation de la dévolution immobilière aux établissements. La gestion de millions de m² anciens et vétustes des universités coûte cher à l’Etat, notamment en période d’inflation énergétique ; avec la dévolution immobilière, l’Etat se désengage et contraint les établissements à s’endetter ou vendre des bâtiments pour maintenir leur budget. Et avec le télétravail ou encore les cours en distanciel, les universités n’hésitent pas à dégrader la qualité de la formation et des conditions de travail des personnels pour maintenir leur budget à flot.
L’autonomie que prépare le ministère en matière de financement va d’ailleurs accélérer les modes de financements sur “performances” à travers les contrats d’objectifs de moyens et de performances (COMP) que contractent les établissements avec le ministère. La “performance” est pourtant aux antipodes des missions de service public de formation et d’une recherche qui a besoin de financements sur le temps long et dégagée de tout objectif de rentabilité économique.
Enfin, en matière de formation, le document prévoit de laisser les établissements déterminer leurs capacités d’accueil. Et dans le contexte financier des établissements, cela voudra dire baisser la capacité d’accueil, fermer des formations qui coûtent cher, fusionner des formations…
En creux, on peut craindre que le cadrage national des frais d’inscription soit lui aussi attaqué, comme le prévoyaient les préconisations des Macron Leaks (en faveur de frais financés par prêt bancaire) lors de la campagne présidentielle de 2017.
Depuis son arrivée au pouvoir, Emmanuel Macron n’a eu de cesse de casser les services publics. Dans l’Enseignement supérieur et la Recherche, ces projets libéraux de dérégulation et d’autonomie renforcée visent à mettre en concurrence les établissements entre eux dans le grand marché international de l’ESR, favorisant une formation et une recherche à 2 vitesses au détriment de la très grande majorité des étudiant-es et des conditions de travail des personnels.
L’expérimentation des 9 établissements pilotes “volontaires” (du moins leurs présidences) se généralisera très vraisemblablement dès 2025-2026. Ballon d’essai ou fuite contrôlée, la publication de ce document engage désormais le ministère à répondre aux interrogations des organisations syndicales et présenter leurs projets. Pour SUD éducation, ces prochaines attaques seront centrales et nécessiteront une réaction à la hauteur des personnels et des étudiant·es.