Tribune sur les projets de programmes de cycle 1 et 2 signée par la FSU-​SNUipp, le SE-​Unsa, la CFDT Éducation, le CGT Educ’action et Sud Éducation.

Le Conseil supérieur des programmes a publié les projets de programmes en français et en mathématiques pour les cycles 1 et 2. Alors que les programmes de 2002 puis de 2015 avaient été approuvés par la communauté éducative, le CSP, pour donner suite à la saisine (très idéologique) du ministère, a totalement réécrit et réorganisé les programmes, tournant le dos à l’ambition de la réussite de toutes et tous avec une vision différente de l’école. Rien ne va dans ces nouveaux programmes : ni la méthode, ni la forme, ni le fond.

Sur la méthode, le temps court entre la lettre de saisine en janvier et la date prévue de mise en application confirme que leur élaboration n’a pas été voulue ni comme le résultat d’un consensus construit par une large communauté scientifique incluant didactique, sociologie des apprentissages et sociologie de l’éducation, ni par la volonté de consulter un grand nombre d’équipes de professionnel.les de terrain. Il est loin le temps où le ministère dégageait du temps pour que les équipes soient consultées collectivement sur des programmes.

Sur le fond, ces programmes s’inscrivent dans une stratégie éducative en rupture totale avec les valeurs historiques d’un enseignement émancipateur fondé sur le refus des inégalités scolaires et sociales. Ils portent une vision mécaniciste, simpliste et, au final, dangereuse pour les apprentissages des élèves. Ils balaient d’un revers de manche des décennies de travaux en sciences de l’éducation et traduisent une méconnaissance à la fois des processus d’apprentissage des élèves mais également une méconnaissance du travail expert des enseignantes et des enseignants. 

En effet, en visant principalement l’objectif d’améliorer les « scores » des jeunes élèves lors des évaluations nationales et internationales, les nouveaux programmes brident à la fois les choix didactiques et pédagogiques des équipes enseignantes et transforment les PE en de simples exécutant·es de programmes livrés « clés en main ». La capacité de l’élève à réfléchir, à comprendre, à imaginer et à apprendre avec les autres, selon un rythme et des chemins qui lui sont propres est supprimée. Ainsi, ils rompent complètement avec la notion de cycle où les savoirs à acquérir se font progressivement et différemment d’un·e élève à l’autre, et où les attendus de fin cycle valident les apprentissages. L’introduction de repères annuels et infra-annuels va créer de fait des normes d’acquisition qui génèreront rapidement des écarts à la norme pour les élèves en difficulté. C’est une conception qui nie la réalité des différents processus et rythmes d’apprentissages, une conception rejetée depuis longtemps et qui présente un véritable danger.

Les programmes de Cycle 1 oublient que l'enfant arrivant en maternelle doit avant tout devenir un élève et que cela passe par la nécessité d'instaurer une confiance dans les adultes chargés de l'accompagner dans cette posture. En ne regardant que les apprentissages en maths et en français, le Ministère marque clairement sa volonté d'élémentariser l'école maternelle en vue de la préparation aux évaluations nationales de CP. 

L’élève tout le long de sa scolarité va ainsi se voir proposer des apprentissages ponctuels, cloisonnés et parfois mécaniques. Les stratégies détaillées relèvent surtout d’un processus proche de « j’apprends, j’applique ». De même, l’enseignement du français en cinq champs séparés se rapproche plus d’une langue à travailler que d’un langage pour construire une culture et une pensée. Face à ce cumul d’apprentissages juxtaposés, mécaniques et répétitifs, l’élève sera chargé d’élaborer seul les compétences complexes.

Ces programmes, sorte de feuille de route du quotidien, n’affichent plus d’attendus clairs de fin de cycle ni d’objectifs de culture commune à mettre en œuvre par les PE par des choix didactiques et pédagogiques. Au contraire, ils fournissent « des exemples de connaissances et de savoir-faire attendus des élèves, mais aussi des repères d’acquisition». Derrière cette « aide » annoncée dès le préambule des programmes de mathématiques, une nouvelle conception de la fonction enseignante est à l’œuvre. Il est désormais demandé aux PE d’être des exécutantes et exécutants, utilisant cette feuille de route du quotidien pour enseigner des contenus précis jour par jour, semaine par semaine, et s’appuyant sur ces programmes comme sur un manuel livré clé en main. Cela renvoie à l’idée que tout le monde est capable d’enseigner sans formation ni savoir-faire, juste en suivant un pas-à-pas.

Les évaluations nationales standardisées deviennent l’objectif même de ces programmes conçus davantage comme une base de bachotage permettant la réussite aux évaluations qu’une base de construction des connaissances. Elles doivent, dès le début du CP être utilisées pour « identifier les élèves dont les acquis précédents sont fragiles ». La pédagogie différenciée nécessaire à la remédiation aux difficultés de ces élèves se fera alors en dehors de la classe, dans le cadre de l’accompagnement pédagogique complémentaire. Renvoyer la difficulté scolaire en dehors de la classe signifie que l’hétérogénéité de la classe n’est plus utilisée comme un moteur favorable à l’ensemble de la classe et surtout l’élève est rendu responsable de son échec. Par ailleurs, ces évaluations mises en place pour piloter le système sonne désormais comme un outil de contrôle des pratiques enseignantes.

Ces projets de programmes s’imbriquent totalement dans le « choc des savoirs » voulu par un pouvoir politique en quête de piloter le système en mesurant les performances et en maintenant la tension sur les élèves et les enseignant·es quitte à laisser sur le bord du chemin les élèves les plus fragiles incapables de rentrer dans ce moule. C’est bien évidemment une perte de sens de nos métiers et une caporalisation qui va s’opérer.

A rebours de ce projet, les organisations syndicales représentatives des personnels signataires de cette tribune, revendiquent des programmes émancipateurs pour les élèves mais aussi des conditions d’apprentissage qui permettent aux élèves de progresser. Cela implique nécessairement des moyens et un autre projet pour l’école.